Chapitre 36
Cartes brouillées
Valéri était sur le point de s’asseoir dans l’un des confortables fauteuils du salon du père Collin lorsqu’Alexei avait déchargé la plus grande partie de sa force vitale dans le corps du petit Félix. La secousse dans l’éther avait ébranlé le vieil homme, qui était tombé à genoux. Le jésuite, qui rentrait avec du bois pour le feu, laissa tomber les bûches et se porta à son secours.
— Avez-vous un malaise ? s’alarma-t-il.
— Ce n’est pas moi…
Le père Collin aida son invité à s’asseoir et alla lui chercher de l’eau.
— Alors, qui ? demanda-t-il une fois que son invité eut pris quelques gorgées.
— Alexei…
— Ne me dites pas que le sorcier l’a terrassé !
— Je ne le sais pas. Je crains que les Kalinovsky n’aient de graves ennuis. Me permettriez-vous d’utiliser votre téléphone ?
Le jésuite alla chercher l’appareil sans fil et composa même le numéro de Tatiana pour le vieil homme. Il lui tendit le combiné et s’assit près de lui, désirant lui aussi savoir ce qui avait bien pu se passer chez les fées.
— Père Collin ? répondit la voix anxieuse de la guérisseuse.
— C’est moi, Tatiana. Qu’est-il arrivé ? Alexei est-il mort ?
— Non, mais sa force vitale est très basse.
— Y a-t-il eu une confrontation entre les deux sorciers ?
— Pas encore. Alex a redonné la vie à un poupon qui avait de toute évidence été étranglé par un rôdeur. Je ne l’ai pas encore dit aux parents, mais j’ai tout de suite senti l’énergie maléfique de la bête sur l’enfant. Et comme si ce n’était pas assez, un rôdeur a attaqué Alexanne, tout à l’heure.
— As-tu besoin de mon aide ?
— Non, Valéri. Reste où tu es. Je vais aller m’occuper de mon frère et je te téléphonerai dès qu’il sera hors de danger.
— J’attendrai ton appel.
— Merci de t’inquiéter de nous. À plus tard.
Le vieux Russe redonna le combiné au père Collin et lui répéta les paroles de la fée.
— Vous vous trompez sur le compte d’Alexei, monsieur Sonolovitch. C’est sans aucun doute l’enfant mâle dont parle la prophétie, mais il a été recueilli par Tatiana après avoir souffert entre les mains d’un ignoble chef de secte et avoir été mordu par un loup possédé. Il avait toutes les raisons du monde de se venger sur les autres de son piètre destin, mais il ne l’a pas fait. Il n’a pas été facile à apprivoiser, je vous assure.
— Les choses sont devenues bien compliquées, soupira Valéri. Je vais devoir réfléchir à tout ceci.
— Je vous en prie, faites-le. Voulez-vous que je vous conduise à votre chambre ?
— Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, je préférerais attendre l’appel de Tatiana ici.
— C’est comme vous voulez.
Le père Collin alla chercher les bûches éparpillées sur le plancher et raviva le feu dans l’âtre.